Suppression de l’obligation de tentative de résolution amiable devant le Juge judiciaire

Le 29 Sep 2022

Par Patrick Gaulmin

Le Conseil d’Etat a-t-il vraiment annulé l’article 750-1 du Code de procédure civile, comme on le lit beaucoup depuis quelques jours?

Oui.. mais ce n’est que temporaire !

Rappelons que l’article 750-1, issu de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle (modifiée en 2019) instaurait l’obligation de tentative préalable de résolution amiable du litige en ces termes:

« Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, et pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf notamment :  (…)

« 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable.

Dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel avait déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en précisant en outre qu’: » il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d’indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent. « . Les réserves d’interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d’une disposition législative sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et lient tant les autorités administratives que le juge pour l’application et l’interprétation de cette disposition.

Or, ce délai raisonnable d’indisponibilité n’a pas été précisé dans le décret portant application de l’article 750-1 ; à savoir le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui était attaqué devant le Conseil d’Etat.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a statué comme suit (CE 22 sept. 2022, n° 439939).

En premier lieu, contrairement à ce qui soutenu, les dispositions du premier alinéa de l’article 750-1 du code de procédure civile définissent, de façon claire et suffisamment précise, le champ d’application de l’obligation de mise en œuvre d’une tentative préalable de règlement du litige. De même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le critère du montant de la demande est pertinent pour définir ce champ d’application, et découle au demeurant de la loi elle-même. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de clarté et d’intelligibilité de la norme et seraient entachées d’erreur manifeste d’appréciation doivent être écartés.

En deuxième lieu, ni les dispositions litigieuses, ni aucune autre disposition du décret attaqué n’instaurent de différence de traitement entre les justiciables faisant le choix de recourir à un conciliateur de justice. Le moyen soulevé n’est donc pas fondé.

En troisième lieu, le principe même d’une obligation de recourir à une tentative préalable de résolution amiable du litige avant d’introduire une demande en justice a été expressément prévu par l’article 3 de la loi du 23 mars 2019. Par suite,  cette obligation méconnaît pas la liberté contractuelle garantie par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En quatrième lieu, si la combinaison des dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile avec les dispositions de l’article 820 du même code, qui prévoit la possibilité de saisir le tribunal judiciaire d’une demande aux fins de tentative préalable de conciliation, est susceptible de conduire à ce qu’une telle demande doive être précédée d’une tentative préalable de règlement amiable en application de l’article 750-1, cette seule circonstance n’est pas de nature à caractériser une atteinte à la liberté contractuelle.

Toutefois, si les dispositions du 3° de l’article R. 750-1 du code de procédure civile explicitent le fait que l’indisponibilité de conciliateurs de justice permettant de déroger à l’obligation de tentative préalable de règlement amiable prévue à l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée doit être appréciée par rapport à la date à laquelle la première réunion de conciliation peut être organisée, en se bornant à préciser par ailleurs que cette réunion ne doit pas intervenir dans  » un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige « , elles n’ont pas défini de façon suffisamment précise les modalités et le ou les délais selon lesquels cette indisponibilité pourra être regardée comme établie. S’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel, l’indétermination de certains des critères permettant de regarder cette condition comme remplie est de nature à porter atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le Conseil d’Etat précise qu’il convient d’annuler l’article 750-1 en tant qu’il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie.

Par conséquent, il suffira au gouvernement de prendre un nouveau décret, précisant le délai d’indisponibilité (sans doute 3 mois) pour faire revire l’article 750-1 du Code de procédure civile… reste à savoir s’il le fera rapidement.

 

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