Un exemple de voie de fait: l’appropriation d’une propriété privée par l’administration

Le 14 Juin 2013

Par Patrick Gaulmin

La théorie de la voie de fait, apparue dès le XIX° siècle, a été consacrée en 1935 par le Tribunal des Conflits (TC, 8 Avril 1935, Action Française, n°00822).

Dans cet illustre arrêt, le Tribunal des Conflits indique qu’il y a voie de fait « lorsqu’une décision administrative est manifestement insusceptible de se rattacher à quelque pouvoir de l’administration et qu’elle porte atteinte à une liberté ou au droit de propriété », ou « lorsque l’administration procède dans des conditions irrégulières à l’exécution forcée d’une décision et que cette exécution porte atteinte à une liberté ou au droit de propriété.

L’action de l’administration se place hors du droit. Le juge judiciaire est seul compétent pour constater la commission d’une voie de fait, enjoindre à l’administration de la faire cesser et ordonner la réparation des préjudices subis ».

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu un arrêt le 21 Février 2013 dans lequel elle reconnaît l’existence d’une une voie de fait dans les circonstances suivantes (1ère chambre B, n° 12/02905).

En l’espèce, l’administration s’était appropriée de façon totalement irrégulière la propriété d’un particulier, laquelle était constituée de plusieurs parcelles, incorporant ainsi les parcelles dans la voirie communale.

Or, aucune procédure n’avait été engagée par l’administration. L’appropriation avait été réalisée sans aucun titre juridique, en dehors de tout cadre légal.

L’illégalité manifeste de l’action de l’administration ayant été reconnue, la question qui se posait était de savoir comment faire cesser le préjudice et en ordonner la réparation.

Lorsque cela est possible, le Juge enjoint à l’administration de faire cesser et de réparer le trouble. Si ce n’est pas possible, la réparation se fait uniquement par équivalence.

Dans notre cas, il était impossible de faire cesser le trouble car l’appropriation ayant eu lieu des années auparavant, la commune avait déjà transformé les parcelles en voie ouverte à la circulation.

Celle-ci étant utilisée par nombre d’habitants tous les jours pour se rendre à leur domicile, la Cour d’appel a considéré qu’il s’agissait d’un ouvrage public intangible.

Il faut tout de même savoir qu’un ouvrage public illégal peut être détruit (voir l’article « La démolition d’un ouvrage public illégal »), mais la destruction ne doit pas constituer une « atteinte excessive à l’intérêt général ».

Or, le juge a considéré qu’une telle démolition serait excessive car reviendrait à fermer la chaussée et fermer la circulation au public.

La réparation du préjudice a ainsi été basée sur la surface des parcelles ainsi que sur la perte de jouissance de notre cliente.

Notons qu’en matière de voie de fait, la prescription obéit à un régime particulier.

En principe, les créances de l’État, des régions, départements ou communes, sont prescrites dans un délai de quatre ans (la prescription quadriennale, résultant de la loi du 31 décembre 1968). Or, en cas de voie de fait, même si celle-ci a été opérée (comme c’est le cas en l’espèce) depuis de nombreuses années, l’administration ne pourra pas se prévaloir de cette prescription.

En effet, dans pareilles circonstances, la dépossession a lieu en dehors de tout cadre légal, donc le propriétaire ne peut légitimement avoir connaissance de sa créance (article 3 de la loi du 31 décembre 1968).

Ce n’est qu’à partir du moment où la dépossession illégale est reconnue que le délai de prescription pourra courir.

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