Constitutionnalité sous réserve de la loi ALUR

Le 7 Nov 2018

Par Patrick Gaulmin

Le Conseil Constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 442-10 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 dite loi ALUR.

L’article L. 442-10 du code de l’urbanisme prévoit :

« Lorsque la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d’un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie le demandent ou l’acceptent, l’autorité compétente peut prononcer la modification de tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé. Cette modification doit être compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable.

« Le premier alinéa ne concerne pas l’affectation des parties communes des lotissements.

« Jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’achèvement du lotissement, la modification mentionnée au premier alinéa ne peut être prononcée qu’en l’absence d’opposition du lotisseur si celui-ci possède au moins un lot constructible ».

Le Conseil rappelle que les requérants reprochent à ces dispositions de permettre à l’administration, avec l’accord seulement d’une majorité de propriétaires, de remettre en cause le cahier des charges d’un lotissement, sans que cette faculté soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ni entourée de garanties protectrices des droits des propriétaires minoritaires. Il en résulterait une violation du droit de propriété et du droit au maintien des conventions légalement conclues, ainsi qu’une méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter ces deux droits.

Par conséquent, le Conseil précise que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 442-10 du code de l’urbanisme.

La propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». En l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

Le cahier des charges d’un lotissement a vocation à définir les droits et obligations régissant les rapports entre propriétaires colotis ainsi que les règles de gestion des parties communes du lotissement. L’article L. 442-10 du code de l’urbanisme institue une procédure de modification, d’une part, des cahiers des charges ayant fait l’objet d’une approbation par l’autorité administrative et, d’autre part, des clauses « de nature réglementaire » des cahiers des charges qui, en application du décret du 26 juillet 1977 mentionné ci-dessus, ne sont désormais plus soumis à une telle approbation. Cette modification est prononcée, à la demande ou après l’acceptation d’une majorité qualifiée de colotis, par l’autorité administrative compétente pour statuer sur les demandes de permis d’aménager.

En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faciliter l’évolution, dans le respect de la politique publique d’urbanisme, des règles propres aux lotissements contenues dans leurs cahiers des charges. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

En deuxième lieu, en application du deuxième alinéa de l’article L. 442-10, la modification permise par les dispositions contestées ne peut concerner l’affectation des parties communes du lotissement. En outre, compte tenu de leur objet, ces dispositions autorisent uniquement la modification des clauses des cahiers des charges, approuvés ou non, qui contiennent des règles d’urbanisme. Elles ne permettent donc pas de modifier des clauses étrangères à cet objet, intéressant les seuls colotis.

En troisième lieu, la modification est subordonnée au recueil de l’accord soit de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie du lotissement soit des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie. En outre, il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État que la modification envisagée doit être précédée d’une information suffisamment précise des colotis intéressés.

En dernier lieu, l’autorité administrative ne peut prononcer la modification que si elle est compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable et que si elle poursuit un motif d’intérêt général en lien avec la politique publique d’urbanisme.

Toutefois, cette modification du cahier des charges ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au droit au maintien des conventions légalement conclues, aggraver les contraintes pesant sur les colotis sans que cette aggravation soit commandée par le respect des documents d’urbanisme en vigueur

Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées ne portent pas aux conditions d’exercice du droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi et qu’elles ne méconnaissent pas non plus le droit au maintien des conventions légalement conclues.

Par conséquent, le Conseil estime que les griefs tirés de la méconnaissance des articles 2, 4 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018740QPC.htm

Comments

  1. marie

    8 novembre 2018 (6 h 24 min)

    « la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé » »

    A rapprocher de cette question relative à l’article L442-10…
    … les dispositions de l’art.L442-9 relatives à:
    – la caducité des règles d’urbanisme « gelées » dans les documents propres au lotissement ( qui ne restent applicables que 10 ans )
    – le caractère perpétuel des droits et obligations régissant les rapports entre colotis ( ce qui impose le respect des termes du « contrat » contenu dans des pièces publiées à la publicité foncière ou mentionné aux actes de vente) et le mode de gestion des parties communes (dont le gel interdit la mobilisation foncière des terrains communs en vue de la « densification »);
    – MAIS autorise la modification des documents propres prévue à l’art.L442-10 SANS CRAINTE de créer une situation conflictuelle entre les colotis qui disposent toujours de la faculté d’obtenir le RESPECT DU CONTRAT…!

    « l’autorité administrative ne peut prononcer la modification que si elle est compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable et que si elle poursuit un motif d’intérêt général en lien avec la politique publique d’urbanisme. »

    A voir les zigs-zags renouvelés des plans d’urbanisme qui se succèdent au gré de la « politique » d’urbanisme de leurs auteurs (les mêmes le plus souvent…), avec des règlements dits « applicables » sans l’être réellement lorsque leurs auteurs confondent « intérêt général » et « clientélisme », les tribunaux ne sont près d’être désengorgés…

    A quand une QPC portant sur les mots  » La publication du cahier des charges ne fait pas obstacle à l’application du même article L. 442-10. » contenus dans l’article L 442-9?

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